Le réveil est difficile. La nuit a été courte et agitée… Je suis encore sous le choc, abasourdie. Heureusement, je commence ma journée par la classe des Terminales S, classe dynamique et éveillée… d’habitude.
Les yeux rougis de mes collègues, leur tenue noire, leur stupéfaction me confirment que je ne suis pas la seule dans cet état. Nous sommes Charlie. Nous portons des badges faits maison et nous placardons ce message qui nous soutient. Car chacun se demande comment faire cours en ce jour et les jours d’après ?
La sonnerie retentit, j’arrive en classe, en traînant les pieds. J’ai peur de retrouver cette même ambiance pesante. Mais rien de tel ! Le silence et les regards interrogateurs des élèves m’interpellent. Ils m’attendent comme si j’avais la science infuse, la bonne parole. Ils sont avides d’explications. Ils veulent comprendre.
A ma grande stupéfaction, en effet, ils ne comprennent rien à la situation. Il faut dire que beaucoup sont internes et n’ont pu qu’à peine suivre les infos : télé inaccessible, wifi défaillante. Il y a eu l’attentat et ils ont retenu le nombre de morts... Mais ils ne comprennent pas mon émotion qu’ils sentent forte, ni celle des autres adultes ébranlés autour d’eux. Ils ne comprennent pas et c’est cela qui les perturbe. Quelque chose leur échappe. Soyons clairs, ils ne connaissent pas beaucoup la presse écrite en général, à la rigueur la presse régionale, alors Charlie Hebdo, très peu. Ils ne savent pas tout le symbole qui se cache derrière ce journal satirique, ils ne savent pas qu’assassiner des dessinateurs, c’est assassiner la liberté, celle de chacun d’entre nous.
Je capte que je dois réagir, que mon rôle d’enseignante, et, par delà, mon rôle d’adulte prend ici toute son épaisseur. Alors j’explique ce journal, ce qu’il représente pour moi. Je parle du poids de la presse dans notre démocratie. J’évoque la liberté d’expression, le chemin parcouru dans notre pays pour y parvenir… Je parle comme je respire, avec mon émotion, en vrac, sans avoir rien préparé. Et je réponds à leurs questions, comme je peux.
Mais force est de constater que j’arrive vite à bout d’explications, d’arguments. Il me manque le recul, les supports, les références. Mon émotion aussi est un frein à la raison. Je suis simple professeur de biologie et d’écologie. Je me sens submergée. Je veux agir mais je ne veux pas mal faire. J’ai besoin de partager avec mes collègues. Échanger, s’interroger, comment dire l’horreur ? Comment prendre le recul ? Je veux alerter car si cette classe de filière S ne prend pas la mesure de ce qui s’est passé alors comment font les autres, les classes professionnelles par exemple ?
J’ai la chance d’appartenir à une équipe avec qui je suis en confiance et les échanges sont nombreux et profonds entre nous. Dans les couloirs, en salle des profs, nous échangeons avec les collègues d’ESC
ESC
Éducation socio culturelle
, de philo, Français, histoire géographie, proviseure adjointe… Il faut vite réagir, expliquer, échanger. Je sens cette urgence.
Dans la matinée, l’ensemble des personnels éducatifs est mobilisé : affichage des Unes des journaux nationaux et internationaux dans le hall, des extraits du journal Charlie hebdo sont discutés en cours, des échanges sur la République, la laïcité, la liberté se mettent en place. Chacun trouve à dire sur ces valeurs que nous partageons tous. Le relais a été assuré !
Je dois dire que cette expérience me laisse toutefois dans l’interrogation. Qu’est-ce qui a pu leur manquer, à ces jeunes, pour ne pas comprendre, analyser, prendre position face à ces événements ? Certes, ils n’ont pas le même vécu que nous, plus âgés, mais quand même ?
J’avoue que je me pose des questions sur ma responsabilité d’adulte, d’enseignante. Comment transmettre ce regard critique si nécessaire ? Comment aider à comprendre le monde qui nous entoure ?
Les valeurs fondamentales qui fondent notre République et notre démocratie sont à défendre sans relâche, bec et ongle. C’est notre mission la plus forte, faire de ces jeunes, de futurs adultes libres, capables de penser par eux-mêmes et de se défendre par les mots. Et il y a urgence à réussir cette mission.
Jacqueline CRETIN LOPEZ
Professeure de Biologie Ecologie
Lycée Lucie Aubrac
DAVAYE
Au lendemain du 07 janvier 2015, le proviseur-adjoint de mon lycée a reçu l’ensemble des élèves, apprentis, stagiaires, ainsi que tout le personnel du lycée. Nous nous sommes retrouvés tous à l’amphithéâtre. Le proviseur-adjoint a pris la parole quelques instants, et s’en est suivie une minute de silence qui a été vécue avec beaucoup d’émotion. Ce fut un silence plombant. L’amphithéâtre était bondé de monde... Ce fut un moment très émouvant. Tous les élèves, apprentis, stagiaires, ont compris le message laissé par le proviseur-adjoint. L’émotion était vive. Ce fut un moment marquant pour moi et beaucoup d’autres personnes....
Corinne PHILIPPOT
Adjointe administrative
LEGTAF des Ardennes