Un projet de d’école privée récurrent …
Le projet d’ouverture d’une école vétérinaire supplémentaire dans le privé est évoqué depuis nombreuses années, et des ébauches sont régulièrement présentées. Mais pour concrétiser une telle ouverture, il faudrait une modification du Code rural (législatif et réglementaire), ce à quoi ce sont toujours refusés les derniers gouvernements, car une telle modification ne serait pas sans conséquence dans le pays qui a fondé au 18ème siècle la médecine vétérinaire et son enseignement, avant d’essaimer en Europe et dans le monde.
En France, la formation vétérinaire est dispensée aujourd’hui par quatre établissements publics, les Écoles Nationales Vétérinaires (ENV
ENV
École nationale vétérinaire
) : VetAgroSup à Lyon, ENV d’Alfort, Oniris à Nantes et ENV de Toulouse. Au total ce sont 640 places ouvertes (160 par école), en augmentation depuis 2012 (480 places) soit plus que l’ouverture d’une nouvelle ENV sans moyens supplémentaires.
UniLaSalle à l’affût …
Depuis deux ans, le lobbying d’UniLaSalle, institut privé confessionnel puisque qu’il s’agit d’eux (même si elle n’est qu’indirectement citée dans le dernier paragraphe de l’amendement), s’est fortement intensifié et ceci pour plusieurs raisons :
• un déficit de professionnels de la santé animale en France malgré l’augmentation du nombre de places dans les écoles (à moyens constants) depuis 8 ans ( – selon le Ministère le besoin serait de 1000 nouveaux vétérinaires / an pour la prochaine décennie ;
• un nombre important de professionnels formés en Europe (40 à 45 %) - Belgique, Espagne, ... ;
• le projet de loi de Programmation de la recherche (2021 / 2030), en cours de discussion au Sénat, a permis à UniLaSalle d’écrire un amendement pour faire modifier la législation.
L’amendement au Sénat
Un amendement (article additionnel après l’article 22) écrit par UniLassalle a été validé par le gouvernement qui a ajouté 3 alinéa qui étaient demandées par les écoles nationales vétérinaires publiques (les 2° et 3° du point II). Ces deux points sont la possibilité d’accueillir ou de recruter comme enseignant·es dans les ENV des vétérinaires ayant un diplômes non européen pour l’enseignement clinique ainsi que le fait que dans chaque ENV publique, il doit y avoir un Centre Hospitalier Universitaire Vétérinaire (ce n’était pas une obligation avant).
Le Snetap-FSU
FSU
Fédération Syndicale Unitaire
réaffirme sa ferme opposition à cette ouverture au privé
Pour le Snetap-FSU la possibilité d’une formation des vétérinaires renvoyée au privé est inacceptable, car sous couvert de tension sur le nombre insuffisant de vétérinaires notamment dans les zones rurales, cette mesure vise à privatiser un nouveau pan de l’enseignement supérieur et, de ce fait, à diminuer la capacité de recherche dans ce domaine et à le précariser alors que les ENV publiques en ont la capacité si l’État leur donne les moyens humains et matériels correspondant ; le conseil des enseignant·es de l’ENV d’Alfort a d’ailleurs voté une résolution en ce sens le 28 septembre 2017.
D’un point de vue pédagogique et de la recherche, ces écoles seront avant tout professionnelles et le volet « recherches » peu développé car onéreux et nécessitant un niveau de formation élevé des enseignant·es pour qu’ils/elles soient des enseignant·es–chercheur·euses (EC
EC
Enseignant Chercheur
) ; le niveau requis pour les enseignant·es de l’enseignement supérieur agricole privé est le master et non comme pour les EC le doctorat. La qualité de l’enseignement passe notamment par les centres hospitaliers universitaires vétérinaires intégrés aux écoles publiques qui servent à la fois de support pédagogique pour la formation des étudiant.es vétérinaires aux sciences cliniques et support de recherche clinique.
Ce n’est par ailleurs pas la volonté des défenseurs de cette mesure qui visent avant tout à transmettre des compétences professionnelles plus que concourir à la progression des connaissances dans les sciences vétérinaires.
De même, le comité d’évaluation de l’Hcéres (Haut Conseil de l’Évaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur) avait également soulevé la faiblesse de la recherche académique de l’établissement dans la conclusion de son dernier rapport de 2017 puisque 2 des 4 points faibles concernait directement la recherche :
• « La faiblesse relative des liens institutionnels établis tant en matière de recherche que d’enseignement avec les partenaires académiques et les organismes de recherche aux niveaux régional et national demeure un point d’amélioration qui avait déjà été soulevé par l’évaluation AERES en 2011.
• Une politique de formation trop centrée sur la diplomation des ingénieurs, ne reposant pas suffisamment sur la formation à la recherche et par la recherche, insuffisamment inscrite dans les politiques de site (principalement pour le campus de Beauvais) ».
Le comité de l’Hcéres recommandait également à l’établissement « d’être attentif à ce que les activités d’expertise qui contribuent au budget des [Unité de Recherche] et qui renforcent les liens avec les entreprises n’entrent pas exagérément en concurrence avec les activités propres de recherche » (en 2015, le chiffre d’affaire des prestations s’élevait à 987 k€)
Enfin pour les étudiant·es, le risque d’une sélection par l’argent (environ 100 000 € de frais de scolarité prévisible) et non plus sur leur mérite est évident à moins d’avoir une indemnité d’étude et de projet professionnel vétérinaire avec une collectivité locale comme prévue dansl’article 22 quater projet de loi DDADUE actuellement en discussion au parlement.
D’un point de vue budgétaire et selon des estimations produites par le Ministère de l’Agriculture, ce ne sont pas moins de 4 à 8 millions d’euros directs par école privé, et certainement des investissements à hauteur de dizaines de millions d’euros par les collectivités territoriales … donc de l’argent public en moins pour le service public de formation et de recherche – même si l’on connaît les pratiques auxquelles le Privé a l’habitude de s’adonner troquant volontiers des pans entiers de formation souvent déjà moribondes contre d’autres plus porteuses en regard du marché !
En tout état de cause, pour le Snetap-FSU, ces moyens doivent rester à destination de l’enseignement vétérinaire public pour lui permettre d’augmenter ses capacités d’accueil. Il estime qu’un plan budgétaire prioritaire pour accompagner les écoles nationales vétérinaires est indispensable.
D’un point de vue sociétal, au moment où notre pays et le monde entier traversent la pire crise sanitaire connue de ces cinquante dernières années, provoquée par un virus d’origine animal, il semble inconcevable d’affaiblir le système de formation et de recherche vétérinaires, sauf si l’objet est de satisfaire des appétits privés immédiats. Plus globalement, alors que le Ministère communique sur une meilleure prise en compte du bien être animal, une réduction des antibiotiques, l’amélioration des contrôles sanitaires, ... une fragilisation du service public de recherche et de formation serait en totale contradiction. Rappelons de surcroît que c’est ici d’une profession réglementée dont il est question !
Une fragilisation d’autant plus forte que seul le service public peut faire face aux crises et peut être à même de remplir les enjeux de société que sont le défi environnemental, la crise écologique et climatique. Autant d’enjeux qui ont besoin d’un service public d’éducation, de formation et de recherche fort et conforté.
D’un point de vue réglementaire, le Snetap-FSU s’étonne d’une modification du Code rural à la demande d’une seule école. En effet dans leur présentation les auteur·es de l’amendement - Sophie Primas (LR, Yvelines), Jean Bizet (LR, Manche) et François Patriat (Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, Côte-d’Or) – annoncent que "un projet précis de création d’une école vétérinaire privée [qui] s’est manifesté auprès du ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, qui serait en capacité d’assurer un flux de formation de 120 élèves par an"
Une réécriture du Code rural et de la pêche maritime ne pourrait avoir pour périmètre la réponse à une demande d’un établissement. Mais dans le même temps ces nouveaux articles du code ouvriraient donc une porte dans laquelle pourraient s’engouffrer d’autres établissements privés.
Un risque que le Ministère ne peut nier, même s’il tente maladroitement de le minorer.
Sur ce point notamment la profession, qui s’est exprimée le 20 octobre au travers d’un article dans la "Dépêche vétérinaire", émet de très fortes réserves sur le projet et s’interroge "sur le réel contrôle qui pourra être exercé sur la qualité de l’enseignement dispensé dans ce type d’établissement, sur l’incapacité d’un tel projet à résoudre la désertification rurale et sur le risque qu’il fait courir, à terme, à la profession par l’instauration vraisemblable d’une formation à deux vitesses."
D’un point de vue éthique, le Snetap-FSU constate que :
• Cet amendement est co-présenté par Mme la Sénatrice Sophie Privas qui est aussi administratrice d’UniLaSalle (cf.sa déclaration d’intérêts et d’activités).
• Le premier argument avancé dans le motif de l’amendement est que c’est une demande l’Assemblée Permanente des Chambres d’Agriculture (APCA) qui est présidé par M. Sébastien Windsor qui est Président du groupe UniLaSalle et qui est aussi l’une des personnalités qualifiées du Conseil d’Administration de l’Institut Agro (qui vient d’être créé par la fusion de Montpellier SupAgro et AgroCampus Ouest). En outre il ne faut pas oublier que UniLaSalle est née de l’intégration de l’ESITPA de Rouen au 1er janvier 2016 à LaSalle Beauvais. L’ESITPA était une école Publique consulaire qui dépendait de l’APCA ! La dissolution de l’ESITPA a été approuvée par arrêté du Ministre de l’agriculture du 28 décembre 2015.
• un autre argument avancé est qu’en raison de contraintes financières, les quatre ENV ne peuvent apporter seules une réponse au besoin de vétérinaires, sans remettre en cause la qualité de la formation qui y est dispensée. Alors que depuis des années ce sont les lois de finances votées par le parlement qui asphyxient les ENV et les empêchent de se développer, même si les ENV sont prêtes à augment le nombre de vétérinaires formées (cf. supra).
• Enfin la procédure d’amendement permet au Ministère de l’agriculture de court-circuiter la nécessité d’une étude d’impact qui aurait due être diligenté par le MESRI, à l’initiative de cette loi. Dans cette étude, il aurait été nécessaire notamment d’indiquer comment le ministre de l’agriculture peut évaluer a priori puis vérifier a posteriori les conditions indispensable pour donner puis maintenir l’agrément d’une école vétérinaire privée ainsi que étudier l’employabilité des diplômés formés. Actuellement les conditions d’agrément et surtout de maintien d’agrément n’existent pas et il est fort à parier que l’arrêt de l’agrément d’un établissement privé ne sera jamais envisagé pour un établissement tel que UniLaSalle en raison des liens de soumission entre le ministère chargé de l’agriculture et le syndicat majoritaire du monde agricole qui préside aussi aux destinées de l’APCA.
Paris le 20 octobre 2020