Pour le SNETAP-FSU FSU Fédération Syndicale Unitaire , le meilleur dispositif de formation demeure la classe ! Et cet article vise à convaincre de la nécessaire promotion du groupe-classe au sein de la formation initiale tant scolaire que par apprentissage, en réaction au culte de l’individualisation en vogue dans le monde des « experts » de l’enseignement agricole, de l’Association des Régions de France et du gouvernement.
Quelles sont les situations d’apprentissage mobilisables par les équipes pédagogiques dans le cadre des dispositifs de formation initiale scolaire et par apprentissage des filières professionnelles ?
Comment préparer les futurs professionnels à faire face à des situations professionnelles inédites, complexes qu’ils rencontreront inévitablement tout au long de leur carrière, des situations dans lesquelles ils devront s’adapter après les avoir diagnostiquées [2] ? Quelles articulations construire entre les savoirs professionnels définis comme « un système complexe de savoirs pratiques, techniques et scientifiques qui ne prend son sens que dans un acte professionnel au sein d’une situation professionnelle » [3]
Pour comprendre la complexité d’un dispositif de formation professionnelle qui doit viser à la fois à la formation d’un professionnel, expert dans son domaine d’activité et lui permettre de le rester au fil des évolutions plus ou moins importantes qu’il rencontrera tout au long d’une vie de travail, le modèle suivant doit être explicité.
Ce schéma se compose de quatre sommets qui correspondent aux quatre pôles impliqués dans le dispositif (formé [4], médiateur [5], situations d’apprentissage [6], les savoirs professionnels [7]). Les arêtes représentent les relations qui se tissent entre les pôles alors que les faces figurent les interactions entre les pôles et les axes. Dans cet article, nous privilégions la face « formé/médiateur/situations d’apprentissage », face dans laquelle se place l’alternance et la classe.
La compréhension de l’apprentissage à travers cette grille permet de distinguer deux grands types d’activités d’apprentissage, d’une part, la situation d’apprentissage par construction de milieu, d’autre part, la situation d’apprentissage par tutorat en milieu professionnel.
Dans la première situation, c’est le milieu scolaire qui se charge de didactiser les savoirs professionnels par exemple dans le cadre de la pluridisciplinarité ou des sciences et techniques professionnelles (STP). Dans cette situation, le rôle de médiateur est tenu par l’équipe pédagogique et la classe demeure l’espace/temps principal de formation. Elle est la forme privilégiée dans la formation initiale scolaire [8].
Dans la seconde situation, c’est au milieu professionnel et au tuteur, maître de stage, maître d’apprentissage que sont prioritairement confiées les missions dévolues aux enseignants et à la classe.
Il faut préciser dés maintenant que le SNETAP-FSU n’entend pas refuser au professionnel un rôle de médiateur qui serait l’apanage de l’enseignant. Il défend l’idée d’une médiation partagée, complémentaire mais une médiation qui doit être pilotée par le milieu scolaire car les finalités sont d’abord éducatives.
Si le SNETAP-FSU concède que la formation initiale scolaire n’est pas la seule voie pour appréhender la complexité rencontrée en milieu professionnel, en revanche, il ne peut accepter l’idée qui veut que seuls les professionnels sont capables de former correctement les futurs professionnels par la pratique ; alors qu’à l’école, on ne leur apprendrait que la théorie, par définition inutile ou déjà dépassée. Selon cette logique, il faudrait donc réduire drastiquement le temps de présence en établissement scolaire, développer les périodes en entreprise et déléguer aux professionnels l’acquisition des compétences professionnelles [9]. Les premiers bilans de plusieurs opérations pilotes mises en place dans le cadre de la Rénovation de la Voie Professionnelle montrent d’ailleurs la vanité d’un tel raisonnement [10].
Pour le SNETAP-FSU, le dispositif de formation professionnelle doit se reconstruire et se refonder sur cette question : Comment intégrer les expériences vécues en situation professionnelle à un parcours de formation ? Comment générer l’acquisition et le développement des savoirs professionnels à partir de ces expériences ?
Pour le SNETAP-FSU, l’alternance en formation initiale scolaire et par apprentissage est un dispositif de formation pertinent à la condition essentielle qu’elle ne se résume pas à une simple juxtaposition des périodes en milieu scolaire et des périodes en milieu professionnel, ou pire encore à un saucissonnage cloisonné et étanche de la formation, attribuant aux enseignants les matières générales et la théorie et aux professionnels, les techniques et la pratique.
En effet, attaché à l’émancipation complète du travailleur, conformément à ses statuts, le SNETAP-FSU refuse la « formation sur le tas » prôné par le bon sens, de l’employeur le plus souvent, car elle n’est en réalité qu’une accumulation de situations singulières de travail permettant au « formé » de répondre mécaniquement à une situation qu’il aura déjà rencontrée. La formation sur le tas ne vise que la « performance », « l’employabilité » rapide et pas les savoirs professionnels. Une telle formation « utilitariste », à bas coût et « court-termiste » ne pourra permettre à des professionnels des métiers de l’agriculture d’intégrer les évolutions des savoirs, des techniques et des pratiques ainsi que les nouvelles attentes sociales en matière de qualité de vie, de santé, d’environnement dans leurs choix techniques [11]. Cette pédagogie de l’imitation atteint ici ses limites. Malheureusement les propos récents tenus par plusieurs responsables du premier syndicat des employeurs agricoles français lors de la journée nationale de l’enseignement agricole organisée par la FNSEA FNSEA Fédération nationale de syndicats d’exploitants agricoles le 25 octobre dernier ne font que renforcer cette conception préjudiciable de l’alternance. Pour Xavier Beulin, président de la FNSEA, l’apprentissage a le double mérite de former une main d’½uvre « employable immédiatement » et « fidèle » à son employeur. Ces propos sont en phase avec ceux des « spécialistes de l’alternance » en rythme approprié alors que les représentants des deux composantes du temps plein de l’enseignement agricole ont tenu a rappeler les autres finalités de leur enseignement lors de cette journée.
Pour former un travailleur émancipé, libre et autonome, le SNETAP-FSU défend une « alternance par métonymie » [12]. Dans cette alternance, la situation singulière de travail doit pouvoir servir de référence à toutes les autres situations d’apprentissage. De retour en classe, le formé doit comprendre que cette situation de travail est un « possible parmi d’autres » et faire ressortir ce qu’elle a de générique et pas seulement de singulier. Cette situation de travail peut alors servir de levier pour le développement des savoirs professionnels. En bref, l’activité en classe doit faire ressortir la dimension constructive de l’activité professionnelle dans l’entreprise.
C’est pourquoi, le groupe-classe doit conserver toute sa place dans un dispositif de formation qui reposerait sur cette alternance refondée. En effet, pour Marx [13], toute activité comporte à la fois une dimension productive qui vise à atteindre les buts fixés et une dimension constructive d’apprentissage et de formation. Ainsi un jeune stagiaire ou apprenti en milieu professionnel est acteur ; il agit sur le réel (matériel, social ou symbolique) – c’est le côté activité productive -. Mais en transformant le réel, il se transforme lui-même, il se « forme » - c’est la dimension activité constructive -.
Il n’y a donc pas d’activité sans apprentissage même si le degré d’apprentissage est variable selon les activités et selon les métiers. C’est alors le volet scolaire du dispositif de formation qui doit permettre de « maximiser » cette activité constructive ! De la même façon, l’activité constructive n’est pas spontanément ni forcément concomitante avec l’activité productive. L’activité productive s’arrête à la fin de l’action alors que l’activité constructive peut aller bien au-delà notamment s’il y a un travail d’analyse réflexive pour revoir cette action dans un effort de compréhension.
Ainsi, cette alternance par métonymie place au c½ur de l’alternance, la classe et l’équipe pédagogique comme médiateur central pour transformer l’activité en situation d’apprentissage a posteriori. Si dans la situation par construction de milieu, l’activité constructive est l’unique but de l’action, cette activité constructive ne doit pas être négligée dans le milieu professionnel au risque de ne faire qu’une « formation sur le tas », rendre « performant », employable et non compétent, expert et qualifié [14].
Pour le SNETAP-FSU, si cette activité constructive peut être partiellement assurée par de véritables tuteurs formés, volontaires, c’est à l’institution scolaire, aux enseignants dans le cadre de la classe que revient cette mission de soutenir l’activité constructive « co-construite » avec le milieu professionnel. C’est à l’équipe pédagogique de construire, en amont le cadre « large » de la formation et au milieu professionnel d’apporter la diversité des situations d’apprentissage, en synergie.
Cette question se pose avec encore plus d’acuité pour la Formation Ouverte et à Distance (FOAD
FOAD
Formation ouverte et à distance
) [15] qui doit impérativement éviter l’écueil de l’isolement, de la solitude, de l’absence de la classe, premier médiateur et des enseignants « médiateurs » ultimes.
Ainsi, la classe permet à chaque formé de confronter son expérience personnelle à celle des autres, entre pairs, collectivement, de développer une activité réflexive pour effectuer un retour sur l’action elle-même en réalisant une décentration, de décontextualiser son expérience, deux étapes essentielles à l’appropriation des savoirs professionnels. Enfin, la classe permet à chacun de construire un répertoire collectif des savoirs professionnels, des « possibilités d’agir » [16]
Dans cette alternance, toutes les disciplines sont mobilisées par l’activité constructive. Apprendre à verbaliser son expérience, à la faire partager, à prendre du recul, à apprendre à rechercher l’information et s’y repérer, à exercer un esprit critique sont des compétences au c½ur des disciplines lors du retour en classe.
Traditionnellement perçu comme un espace-temps de socialisation, le groupe-classe doit demeurer un échelon essentiel dans le dispositif de formation de l’alternance. Il est un espace/temps de formation à part entière d’apprentissage de la complexité et donc un espace/temps émancipateur.
Fabrice CARDON
secrétaire national
chargé du secteur « pratiques pédagogiques,
recherches et formation des maîtres »
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