Le Salon de l’Agriculture 2019 a fermé ses portes il y a quelques semaines. Une fois de plus pour celui ou celle qui aura traversé les allées du Parc des expositions l’impression est que le bio et le "vert" sont partout. A tel point que l’on se demande s’il existe encore une "agriculture conventionnelle".
Le Ministre de l’Agriculture en clôture du 56ème Salon de l’Agriculture confirme d’ailleurs ce sentiment en affirmant que la "transition agro-écologique de l’agriculture est en route et qu’elle est irréversible"… et ceci pour la simple raison que la société l’exige.
Mais les faits sont têtus et les chiffres implacables. La simple communication ou l’auto-persuasion, si tant est qu’elle soit sincère, ne suffiront pas à transformer la réalité. Cette année encore ce sont près de 62 000 tonnes de pesticides qui auront été pulvérisées dans les campagnes françaises (dont 8 000 tonnes de glyphosate) avec une utilisation à la hausse en 2017 qui fait s’éloigner un peu plus encore l’objectif d’une baisse de 25 % de leur utilisation en 2020.
Pour l’agriculture biologique, si les chiffres martelés montrent une réelle progression, ils concernent avant tout le marché (7 milliards d’euros, soit + 1 milliard en 2017). Car même si on constate une progression des surfaces en bio, celles-ci ne représentent à ce jour que 1,7 millions d’hectares, soit à peine 6,5 % de la surface agricole utile (SAU), et avec des variations très importantes en fonction des régions et des cultures. Avec une progression de seulement 15 % des surfaces par an, là encore l’objectif, pourtant très mesuré, du gouvernement de 15 % de la SAU en bio en 2022 semble d’ores et déjà compromis. Et ce ne sont certainement pas les difficultés que rencontrent les producteurs bio pour obtenir les aides financières publiques, qui contribueront à donner l’impulsion nécessaire.
Malgré l’urgence pour réduire les pollutions de l’eau, de l’air, de la faune et des populations (aux pesticides et aux nitrates), la dégradation des terres arables (érosion physique, chimique et biologique), la perte de biodiversité qui s’accélère de façon alarmante, les causes du changement climatique, etc., ces quelques chiffres montrent un renoncement politique à la prise en compte des défis auxquels il nous revient pourtant de répondre collectivement et urgemment. De renoncement en renoncement, un changement radical des pratiques agricoles est dorénavant un impératif mais une partie de la profession semble encore vouloir se voiler la face, les lobbies des firmes agricoles et alimentaires n’ayant quant à eux aucunement l’intention de renoncer.
Ces évolutions indispensables des modes de production agricole nécessitent une prise de conscience collective, une réelle volonté politique d’accompagnement et d’investissements dans tous les domaines supports de cette transition nécessaire, notamment ceux de la Recherche et de la Formation et du Développement..
Concernant le domaine clé de la Formation, lors du Salon de l’Agriculture, le Gouvernement a lancé une grande campagne de promotion de l’Enseignement Agricole. Pourtant, derrière cette façade se cache une autre réalité, celle du désinvestissement des pouvoirs publics sur l’Éducation et la Formation, un désinvestissement qui ne joue pas en faveur des conditions d’apprentissage confortées dans les établissements publics agricoles et par suite du développement durable que notre société appelle pourtant de ses vœux – " marches pour le climat " à l’appui !
D’abord en renvoyant aux seules branches professionnelles le financement et la gestion des contenus de la formation professionnelle, le gouvernement, au travers de la loi « Liberté de choisir son avenir professionnel », semble considérer que les titres et diplômes de demain ne devront répondre qu’aux seuls intérêts des professionnels. Il abandonne l’idée que la formation relève aussi de l’intérêt public et que la puissance publique doit assurer une représentation pluraliste dans les choix et orientation des formations et des métiers de demain. Ainsi, la commission professionnelle consultative (CPC) de l’Agriculture, chargée de l’évolution des diplômes et des formations, fonctionnait jusqu’à aujourd’hui avec l’ensemble des acteur.rices de l’Enseignement Agricole (professionnel.les, parents, enseignant.es, usagers, ...). Demain, seuls la FNSEA FNSEA Fédération nationale de syndicats d’exploitants agricoles et l’UNEP pèseront au sein de cette commission, avec les orientations que l’on sait.
Ensuite en réduisant les contenus et la professionnalisation des formations au travers de la réforme de la voie professionnelle et paradoxalement dans le même temps en dégradant la formation générale au travers de la réforme du Baccalauréat, le gouvernement s’attaque aux capacités des futur.es agriculteur.rices et des futur.es technicien.nes du secteur de relever les défis qui se présenteront à eux et elles, et de s’adapter aux évolutions nécessaires de leur environnement professionnel. Comment imaginer, dans ce cadre dégradé, une mobilisation pour faire bouger le monde agricole vers davantage d’agro-écologie ? Ainsi, le retrait de l’agronomie du Bac Général dispensé dans les établissements agricoles est contradictoire avec les enjeux du développement durable, alors que cette discipline est à la base de la compréhension des systèmes de culture.
En tendant à réduire l’Enseignement Professionnel à la seule satisfaction des besoins économiques, en plaçant la formation initiale par apprentissage dans le cadre d’un marché concurrentiel en particulier et en réduisant drastiquement les moyens pour l’Enseignement Agricole Public en général, le gouvernement fragilise, par la reprise des suppressions d’emplois dans l’Éducation, les établissements publics et favorise de fait les structures privées, comme les CFA CFA Centre de Formation d’Apprentis interentreprises qui commencent à se multiplier. Cette libéralisation de la Formation, qui est en fait le "faux-nez" de la privatisation, fait peser sur elle les risques d’un lobbying encore renforcé. Les contre-réformes en cours et la baisse des moyens programmée pousseront les établissements à chercher des financements extérieurs et notamment ceux provenant des firmes phytopharmaceutiques, des industries agroalimentaires ou encore de la grande distribution.
Enfin, la réorganisation brutale - déjà très contestée - de l’Enseignement Supérieur Public et de la Recherche, relevant du Ministère de l’Agriculture, ne fera qu’aggraver la situation.
Promouvoir une agriculture qui permette demain notre souveraineté alimentaire tout en garantissant la préservation de l’environnement comme de la santé des populations, passe assurément par le maintien et le développement d’un Enseignement Agricole Public présent sur l’ensemble du territoire, mandaté pour porter cette révolution agro-écologique nécessaire, avec des exploitations et des ateliers technologiques dotés en conséquence. Nous sommes plus que jamais « à la croisée des chemins » et la représentation nationale doit prendre toute la mesure des décisions budgétaires triennales qui s’annoncent en regard d’établissements agricoles « à taille humaine », performants, mais déjà fragilisés dans le cadre du budget 2019... Les enjeux sociétaux sont majeurs et abaisser l’outil public d’enseignement et de formation agricole initiale, comme continue, serait une faute historique, sachant que nous ne pourrons pas nous contenter d’un simple ravalement de façade. Ce sont les fondations qu’il est nécessaire de conforter pour assurer cet avenir, et cela ne peut passer que par un renforcement volontariste et assumé comme tel de l’Enseignement Agricole Public.
Les signataires :
- Eric ANDRIEU (Député Européen)
- Gérard ASCHIERI (Membre du CESE au titre de la FSU FSU Fédération Syndicale Unitaire )
- Karine AULIER (Représentante de la FCPE FCPE Fédération des conseils de parents d’élèves des écoles publiques pour l’Enseignement agricole)
- José BOVE (Député européen)
- Françoise BRIAND (Secrétaire générale FCPE)
- Marie BUISSON (Secrétaire Générale Ferc-CGT CGT Confédération générale du travail )
- André CHASSAIGNE (Député du Puy de Dôme)
- Pierre CHERET (Conseiller régional Nouvelle Aquitaine)
- Gilles CLEMENT (Paysagiste, botaniste, biologiste, écrivain)
- Étienne DAVODEAU (Auteur de bande dessinée)
- Elsa FAUCILLON (Députée des Hauts de Seine)
- Jean-Luc FICHET (Sénateur du Finistère)
- Sylvie FILIPEDASILVA (Co-Secrétaire Général CGT-Agri)
- Sigrid GERARDIN (Co-Secrétaire générale Snuep-FSU)
- Guillaume GONTARD (Sénateur de l’Isère)
- Bernadette GROISON (Secrétaire Générale FSU)
- Sylvie GUILLOU (Secrétaire nationale Snuitam-FSU)
- Jocelyne HACQUEMAND (Secrétaire Générale Fnaf-CGT)
- Joël LABBE (Sénateur du Morbihan)
- Françoise LABORDE (Sénatrice de la Haute-Garonne)
- Michel LARIVE (Député de l’Ariège)
- Jean Marie LE BOITEUX (Secrétaire Général Snetap-FSU)
- Laurent LEVARD (Agro-économiste - Co-animateur Agriculture et Alimentation de la FI)
- Laurence LYONNAIS (Agent de développement local, candidate FI aux élections européennes)
- Myriam MARTIN (Conseillère régionale Occitanie)
- Philippe MARTINEZ (Secrétaire Général CGT)
- Pierre OUZOULIAS (Sénateur des Hauts de Seine)
- Roger PERRET (Membre de la commission agricole du COCT – Fnaf CGT)
- Laurent PINATEL (Porte parole Confédération Paysanne)
- Dominique PLIHON (Porte parole ATTAC)
- Christian PRAT (Chercheur en sciences du sol, IRD)
- Loïc PRUD’HOMME (Député de la Gironde)
- Marie-Monique ROBIN (Journaliste, réalisatrice et écrivaine)
- Eve SAYMARD (Agronome, accompagnatrice à l’installation / transmission agricole)
- Stéphane TRIFILETTI (Conseiller régional Nouvelle Aquitaine)
- Aurélie TROUVE (Enseignante-chercheuse AgroParisTech)
- Paul VANNIER (Co-responsable du livret éducation de la France insoumise)
- Thomas VAUCOULEUR (Co-Secrétaire Général CGT-Agri)
- Michèle VICTORY (Députée de l’Ardèche)
- Jean ZIEGLER (Vice-président du comité consultatif du Conseil des droits de l’homme des Nations unies)