Rédacteur en chef d’un journal satirique (façon Charlie Hebdo ou Hara Kiri) j’imagine sans peine les Unes que j’aurais pu trouver pour illustrer cette tragi-comédie très française qui vient de secouer le pays juste en puisant dans l’histoire littéraire et cinématographique : « Le bal des Cocus », « La Grande Magouille », « Les Valseuses », « Massacre à la tronçonneuse », « Vol au-dessus d’un nid de cocus », « Ascenseur pour l’échaffaud « , « Le cimetière des morts-vivants »…
Dommage qu’il ne se soit point trouvé des nouveaux Feydeau, Labiche, Guitry, Dac ou Desproges pour remettre en scène avec ironie ce mauvais vaudeville où se sont croisé épouses éplorées, maris cocus, amants dans le placard, matamores, Tartuffe, camelots, roublards professionnels et Rastignac en goguette … La Bruyère aurait pu enrichir ses Caractères, Molière étoffer sa galerie sociale, Balzac sa comédie humaine et Honoré Daumier croquer avec délice ces nouveaux bourgeois de la politique…
Il faut dire que la réalité a enfoncé tout ce que la fiction aurait eu peine à imaginer :
A droite : Ulysse, drapé dans sa vertu, qui aurait embauché avec les deniers publics sa Pénélope à faire des confitures dans la Sarthe, la nouvelle pucelle d’Orléans chevauchant son destrier pour aller faire un selfie aux côtés des travailleurs de Whirpool, l’UDI qui suspend son soutien à la campagne de Fillon alors qu’il n’est pas encore mis en examen et qui lui renouvelle son soutien après sa mise en examen (cherchez l’erreur.. ), Dupont-Aignan qui divorce de sa pucelle à peine 15 jours après l’avoir épousée, Bayrou le « rénovateur » qui continue à faire de la cuisine à l’ancienne pour grappiller quelques sièges de députés…
A gauche : on balance entre la trahison et le suicide assisté : une primaire qui tourne à la déconfiture et au reniement (Valls et de Rugy), Mélenchon le tribun populiste qui prône la rupture et le « dégagisme » (que ne s’applique-t-il pas sa propre devise ! ) et qui rompt pour la première fois le front républicain avant le second tour en prenant le risque de faire accéder l’extrême droite au pouvoir, sans parler des frondeurs qui ont entre-temps probablement égaré leur fonde puisqu’on ne les entend plus ou de ce qu’il reste des communistes qui découvrent seulement maintenant qu’ils ont été grugés…
Ce très mauvais vaudeville a généré chez les Français des sentiments confus mais légitimes d’indifférence, d’incompréhension, d’abandon, de dégoût, d’écœurement, de révolte.
Comment en serait-il autrement quand ceux et celles qui représentent et incarnent la nation se discréditent, se fourvoient, se trahissent et trahissent les leurs ?
Le vieux monde politique, hérité de la 5ème République, faute de s’être réformé à temps, agonise dans un magma indescriptible dont nous n’avions pas mesuré l’étendue et la violence.
Faut-il désespérer Billancourt comme le font l’extrême droite et l’extrême gauche française au motif qu’un « vieux monde » s’éteint conformément à la théorie darwinienne de l’évolution ?
Personnellement, cette décomposition accélérée du modèle politique français m’a d’abord déstabilisé, inquiété, alarmé.
La décomposition politique ouvre souvent, nous le savons, la porte aux populismes et aux nationalismes les plus dangereux. Ce dernier péril étant écarté provisoirement – la pucelle s’étant immolée elle-même sur le bûcher de la vanité et de la bêtise en direct live – j’observe les derniers râles de la vieille bête politique avec amusement.
Mieux, je me réjouis maintenant de voir ce vieux monde politique exploser et ses parangons remerciés froidement par un peuple français maître de lui-même.
Du chaos naît toujours la vie. Et je ne peux que faire mien ce proverbe arabe : « Ce qui est passé a fui, ce que tu espères est absent, mais le présent est à toi ». Cessons de regretter, de déplorer ce qui n’est plus et concentrons-nous sur ce qui n’est pas encore.
Et le syndicalisme dans tout ça ?
Affaibli, le syndicalisme français n’a pas été aussi discrédité que le politique. Il reste vaillant et peut, à condition de s’en donner les moyens, jouer un rôle majeur dans la construction d’un nouveau modèle social et républicain. Je partage pleinement l’analyse de la tribune libre des Pays de Loire. L’éclatement du paysage syndical français est préoccupant : il est le fruit de ruptures successives, de scissions héritées du passé. A trop vouloir s’arc-bouter sur des dogmes et des principes du passé, le syndicalisme français pourrait bien connaître une fin aussi peu glorieuse que celle du modèle politique à laquelle nous assistons. La majorité des fédérations et confédérations existantes partage des valeurs communes : comment comprendre dès lors qu’elles ne soient pas capables de se réunifier pour peser davantage dans le dialogue social ? Comment comprendre que la FSU
FSU
Fédération Syndicale Unitaire
et la CGT
CGT
Confédération générale du travail
n’aient pas réussi à se réunir alors que le congrès de Toulouse de la FSU en 1998 se fixait déjà cet objectif de rapprochement ? Comment les salariés de notre pays peuvent-ils comprendre cet éclatement unique en Europe ?
Il y a urgence aujourd’hui à rompre avec les vieilles lunes du passé. Il y a urgence aujourd’hui à en finir avec les stratégies de boutiquiers, avec la défense des pré-carrés. Avançons camarades et sans crainte des lendemains. Demain sera ce que nous voudrons en faire. Au sein de la FSU, le SNETAP a toute sa place pour faire le pari de l’audace, le pari de l’avenir… Fort de son passé, de son expérience, de sa diversité, le SNETAP-FSU doit s’engager pleinement et sans réserve dans ce monde nouveau qui s’ouvre devant nous !
André BLANCHARD
Ancien Secrétaire Régional Bretagne
Ancien Responsable de l’Enseignement Maritime
Ancien Secrétaire Général Adjoint