CHS Auvergne du 6 décembre 2013
Comment faire pour supprimer des services publics qui fonctionnent très bien ? Démonstration
Si vous souhaitez affaiblir les services publics dans le cadre des politiques d’austérité et de décentralisation suivez le procédé suivant qui est toujours le même : commencez par affaiblir le Service Public pour pouvoir dire qu’il fonctionne mal. Ensuite, proposez la destruction des statuts, des droits qui sont un gage de qualité pour les usagers (recrutement sur concours nationaux et formations) et les employés et enfin ouvrez à la « concurrence libre et non faussée » cf Traité de Maastricht de 1992. Tout ceci s’accompagne d’une forte campagne médiatique de dénigrement du Service Public et de ses agents.
C’est ainsi que s’est réalisée la « casse » de toutes les Entreprises et Services publics. Les derniers services publics à faire disparaître sont l’Éducation, la Santé et la Justice.
Dans l’Enseignement, les « réformes » successives depuis les années 1980 de l’École Primaire à l’Université ont fragilisé les élèves et les personnels, donc l’ensemble du secteur éducatif public.
Les élèves sont fragilisés, ils entrent maintenant au Collège, au Lycée et dans le Supérieur avec moins de savoirs qualitatifs et quantitatifs. Ils se culpabilisent, ils sont « leurrés » par des diplômes qui sont de moins en moins nationaux et vidés progressivement de leur contenu.
Les enseignants eux sont fragilisés car les réformes successives ont augmenté leur charge de travail, tout en modifiant la forme du travail lui-même avec :
- l’augmentation du nombre de classes par enseignant, suite à la baisse du nombre d’heures d’enseignement par matière pour mettre en ½uvre la RGPP RGPP Révision générale des politiques publiques entre autres. En parallèle, le nombre d’élèves par classe augmente. Avec moins d’heures de cours, et plus d’élèves par classe, il est très difficile de connaître tous les élèves et remédier aux difficultés.
- la nécessité de s’adapter à des élèves, qui n’ont plus certains acquis, et ceci avec une baisse de la formation des enseignants.
- la mise en place des diplômes par CCF CCF Contrôle Certificatif en cours de Formation (Contrôle en cours de formation), des heures de pluriactivités qui permettent une annualisation du travail avec un « zapping » du savoir, d’heures supplémentaires imposées, des nouvelles technologies….
- la baisse du nombre de personnel encadrant dans les lycées : surveillants, administratifs, personnels TOS TOS (personnels) Techniciens, Ouvriers et de Services , CPE CPE Conseiller Principal d’Éducation et proviseur adjoint. Ainsi, d’autres missions que l’instruction sont données aux enseignants, car la transmission du savoir n’est plus une priorité. Le Savoir et la Culture sont même méprisés. On véhicule le fait que de toutes les façons, tout le monde ne pourra pas accéder au Savoir et à la Culture, et que certains élèves n’en ont pas les moyens. Elèves, que l’on va d’ailleurs aller repérer dès l’école primaire et pourquoi pas dès l’école maternelle : « On n’instruit plus, on divertit ». En Effet, il s’agit bien d’organiser le divertissement avec le décret sur les Rythmes Scolaires.
- la multiplication des temps de service sur deux établissements
- la décentralisation : les lycées sont rénovés avec de beaux extérieurs, de beaux espaces verts mais où il manque beaucoup de matériels pédagogiques (bus, matériels de laboratoire, équipement en nouvelles technologies ….) Les bâtiments des lycées deviennent un prétexte au « Développement Durable », un marché extrêmement lucratif pour des entreprises qui embauchent de la main-d’½uvre sur un marché du travail de plus en plus déréglementé. Les besoins pédagogiques et donc la réussite des élèves ne sont plus la motivation première de la rénovation confiée aux Régions. On ferme même ceux qui fonctionnent bien avec des équipements récents et adaptés (Lycées professionnels de Lapalisse, de Romagnat, Pierre et Marie-Curie à Clermont-Ferrand)
Ainsi, la charge de travail a augmenté mais les salaires n’ont pas augmenté. Il y a même une baisse du niveau et de la qualité de vie des enseignants, avec la multiplication du travail précaire souvent à temps partiel. De plus, il y a une mise en concurrence des enseignants avec la multiplication des heures non affectées à une matière parce que : politique d’austérité oblige : « on ne peut pas donner la même chose à tous les élèves, il s’agit de faire des choix, des projets... »
Cette succession de réformes qui court depuis les années 1980, entraîne un mal être, un stress, une culpabilisation chez les élèves et chez tous les personnels, y compris chez les personnels enseignants. Comme dans les autres domaines des services publics (EDF, SNCF, Police….) des suicides apparaissent chez les enseignants : « je ne ferai pas professeur toute ma vie, tout faire à la va-vite et toujours courir après le temps, ce n’est pas possible » dit une enseignante agrégée.
Comment peut-on expliquer une telle détérioration des conditions de travail chez les enseignants ?
Le travail a été bien minutieusement préparé par les précédents gouvernements avec les réformes qui n’ont cessé de succéder, sous l’injonction du sommet européen de Lisbonne de 2000 qui met en ½uvre le « Livre Blanc » de la Commission Européenne publié en 1994. Le gouvernement actuel n’a plus qu’à apporter la touche finale en poursuivant ainsi l’½uvre de déréglementation avec la décentralisation de l’École (loi Peillon de refondation de l’École et décret sur les rythmes scolaires) et en s’attaquant au statut des enseignants. Statut qui leur garantit un temps de travail précis, une mission précise, un niveau de salaire précis et encadré. Avec la suppression du décret de 1950, le secteur de l’Éducation peut s’ouvrir définitivement à la concurrence, il ne sera pas gêné par une réglementation du travail. Le secteur public, avec ses statuts n’est pas concurrentiel face aux officines privées de formation qui proposent des salaires bas. Les Universités, de plus en plus autonomes fonctionnent avec une majorité d’enseignants précaires. Les CFA
CFA
Centre de Formation d’Apprentis
et CFPPA
CFPPA
Centre de Formation Professionnelle et de Promotion Agricole
(formation continue pour adultes)
, décentralisés depuis 1983, fonctionnent avec des formateurs précaires, souvent à temps partiel. Les personnels titulaires, qui ont un statut, dans les CFA et CFPPA sont fortement inciter à partir, on leur dit d’ils coûtent trop cher. De ce fait, ils deviennent concurrentiels. Ainsi, la formation, « l’échec scolaire » deviennent-ils un grand marché dans le cadre de la mise en place de la formation tout au long de la vie préconisée par OCDE via les directives européennes.
Aujourd’hui, l’OCDE* via son enquête PISA* a beau jeu de pointer du doigt l’échec scolaire alors que c’est elle qui préconisait, en 1996 dans son rapport intitulé « la faisabilité politique de l’ajustement », aux gouvernements de s’attaquer à la qualité des services publics pour pouvoir les ouvrir à la concurrence et mettre en place dans le système éducatif la formation par compétences. Donc, « l’échec de l’Ecole » n’est pas le fruit du hasard, l’échec scolaire a été minutieusement organisé, maintenant, il est pris pour prétexte afin de privatiser des pans entiers de l’instruction publique et en particulier la formation professionnelle. C’est de la « barbarie douce ». Ainsi, les élèves n’auraient besoin que d’acquérir des compétences pour qu’ils soient « employables » par les entreprises. Les entreprises n’ont pas besoin de salariés qui puissent lire un contrat de travail et qui puissent s’investir dans « la cité » pour devenir pleinement citoyen. De ce fait, l’École Publique avec ses statuts, ses diplômes nationaux qui garantissent des droits au travail, n’a plus de raison d’être. Les salariés doivent devenir une ressource exploitable sans contrainte d’une législation du travail, au même titre que le sont les ressources naturelles.
Est-ce à l’OCDE, au monde de l’entreprise (l’ERT
ERT
Même si vous ne les connaissez pas, ils s’intéressent de près à l’éducation en Europe.
[1], fondée en 1983.) de dicter les principes de bases de l’École d’une République démocratique ?
N’est-ce pas le Service Public laïc, avec ses statuts qui garantissent le plus la justice sociale, la solidarité et permettent de corriger les inégalités, de préserver l’intérêt général et la sérénité, avec de bonnes conditions de travail pour tous les salariés et les usagers ? N’est-ce pas cela la Modernité ? La modernité n’est pas le retour au non droit connu à d’autres périodes de l’histoire où tout le monde est en concurrence avec tout le monde.
L’histoire nous montre que la déréglementation n’améliore pas le service rendu et qu’elle engendre des risques psycho-sociaux importants chez les salariés et chez les usagers qui voient leurs conditions de travail et de vie se dégrader considérablement.
Ce n’est pas en fragilisant encore plus les personnels en détruisant leur statut, qui est une garantit contre l’arbitraire dans le système scolaire public volontairement fragilisé que l’on va remédier au problème de l’échec scolaire minutieusement organisé.
Pour toutes ces raisons, pour la justice sociale garante de la démocratie et de la paix sociale, nous demandons à ce gouvernement d’arrêter la « casse » des services publics et aujourd’hui de maintenir le décret de 1950 qui régit les missions et les obligations de service des enseignants et de revenir pleinement à ses principes de base qui ont été déjà fortement dénaturés par les réformes des diplômes et par les « contraintes budgétaires » liées aux politiques d’austérité. Les nouvelles technologies ne doivent pas être le prétexte pour détruire le droit du travail. Au contraire elles sont des outils qui doivent permettre d’améliorer le travail des enseignants, la transmission des savoirs et ainsi elles peuvent conduire à une baisse du temps de travail.