Le Congrès d’Arras retient de ce travail que l’enjeu global de la formation repose sur la formation à la fois du citoyen et du professionnel et que pour cela il faudra changer les contenus et les objectifs de nos formations mais également dégager des moyens.
1 – Changer de contenus et d’objectifs
Pour aider les élèves, étudiant-e-s, apprenti-e-s, stagiaires à porter d’autres regards sur la société en général et sur le monde rural et sur l’agriculture, il faut leur donner les outils d’analyse nécessaires et renforcer leur esprit critique et également développer la notion de bien commun et de sens commun.
L’élévation des niveaux de qualification doit se poursuivre en maintenant l’équilibre entre la formation générale, scientifique et professionnelle.
La formation initiale scolaire professionnelle comme technologique, appuyée sur l’appropriation de connaissances générales, scientifiques, économiques et techniques est seule capable de développer un esprit critique et de préserver nos élèves, étudiant-e-s, apprenti-e-s de l’aliénation à laquelle pourrait préparer une professionnalisation ainsi qu’une spécialisation professionnelle trop précoce. L’éducation et la formation des jeunes quelle que soit la voie de formation choisie, doivent donner les outils de compréhension du monde et leur permettre d’y devenir des acteur-rice-s et des citoyen-ne-s responsables. La formation de type polyculture élevage qui était prodiguée avant la réforme dans la formation du bac pro CGEA (conduite et gestion de l’exploitation agricole) que nous avons fortement défendue en était un bon exemple.
La mobilité géographique étant une contrainte, le service public doit renforcer l’offre publique de formation et le maillage territorial et raisonner des outils pédagogiques et processus d’apprentissage.
Il faut faire de la formation tout au long de la vie (formation diplômante, formation qualifiante, formation continue, formation continuée) une réalité pour tous. Une idée qui va de pair avec le maintien et le développement de la promotion sociale.
Il faut travailler collectivement à l’accompagnement vers l’expertise et la capacité d’adaptation des étudiant-e-s aux différents emplois, et non rechercher une « employabilité de court-terme ».
Il faut rester innovant en terme d’expérimentation et d’outils de développement. Les EPL EPL Établissement Public Local doivent développer des espaces d’interfaces entre les territoires et les étudiant-e-s (en tenant compte des statuts des personnels), avec des infrastructures plus ouvertes.
Mais l’ensemble de ces éléments ne valent que si l’enseignement agricole public redevient une priorité et bénéficie de moyens à la hauteur des enjeux. Ainsi par exemple les réductions de volume horaire disciplinaire concourent à la perte d’ouverture au monde contemporain.
Il faut repenser, raisonner et réintégrer les missions et les moyens de l’EAP
EAP
Enseignement Agricole Public
ou
Emploi d’avenir professeur
dans les fonctions des enseignant-e-s, en mettant les élèves et les étudiant-e-s au c½ur des dispositifs.
Les enjeux liés à l’insertion et à la déscolarisation précoce doivent être au c½ur des préoccupations du système éducatif. Sur ce point, il faut maintenir et développer les classes de 4ème et 3ème de l’enseignement agricole dans l’enseignement agricole public.
En terme de coopération internationale, il faut regretter la diminution globale des financements et dénoncer l’absence d’ambition donnée à cette mission.
Il faut raisonner les ouvertures de classe en lien avec les professionnels, les usagers, sur la base de véritables prospectives Dans ce cas les échanges entre élèves et anciens élèves sont importants à développer.
Il faut mêler activités disciplinaires et pluridisciplinaires car après une formation disciplinaire de base sans décloisonnement, le travail pluridisciplinaire est indispensable.
Il faut initier d’autres modèles d’agricultures plus re-localisées et davantage intégrées aux aspirations de leur territoire.
Il faut permettre aux élèves, étudiant-e-s, apprenti-e-s et stagiaires de découvrir les différents types de production possibles au travers de nos exploitations, ateliers technologiques mais également des visites encadrées en milieu professionnel. Ces différentes interventions (professionnelles, scientifiques …) doivent bien sur être mises en perspective et inscrites dans une progression pédagogique pertinente et maîtrisée par les enseignant-e-s.
Dans ce dispositif les exploitations et ateliers technologiques doivent être valorisés et utilisés à leur optimum, conformément à leur mission pédagogique.
Il faut remettre l’agronomie au c½ur des préoccupations des futurs professionnels.
Il faut travailler sur la notion de commercialisation, en valorisant les fermes expérimentales autour de projets durables, les circuits courts, AMAP, ventes directes, accueil à la ferme, ferme auberge, ...
Des outils tels que les MIL (module d’initiative locale) sont intéressants pour développer ces approches différentes, à condition d’être validés par l’inspection pédagogique de l’Enseignement Agricole.
2 – Dégager des moyens
Pour mettre en ½uvre une éducation citoyenne et une formation professionnelle, les besoins en personnels sont importants. Elle doit reposer sur une communauté éducative renforcée dans les établissements et des personnels titulaires.
Il est donc impératif de maintenir et renforcer de véritables équipes éducatives composées d’enseignant-e-s dans les lycées, CFA
CFA
Centre de Formation d’Apprentis
et CFPPA
CFPPA
Centre de Formation Professionnelle et de Promotion Agricole
(formation continue pour adultes)
, de personnels de vie scolaire, de personnels de service (entretien, ménage, cuisine, transport), de personnels administratifs, de personnels de santé, de personnels de direction, de personnels des exploitations et ateliers technologiques mais aussi de médecins scolaire, de psychologies scolaires, d’assistant-e-s sociaux, de conseiller-ère-s d’orientation épaulant les personnels enseignants.
Il est nécessaire de reconstruire ces équipes.
Afin d’apporter toutes les garanties de qualité et d’indépendance aux usager-ère-s de nos établissements, l’ensemble de ces personnels doivent être titulaires. Ils doivent bénéficier d’une formation continue en lien avec les nouvelles ambitions de l’enseignement agricole public ce qui suppose un véritable plan de formation pour l’ensemble des personnels. La question des secondes carrières s’inscrit dans cette dynamique.
L’ensemble des moyens alloués aux missions de l’Enseignement agricole Public (formations - animation rurale - insertion scolaire, sociale et professionnelle - développement, d’expérimentation et de recherche appliquée - coopération internationale) doivent être renforcées et systématiquement abondées en moyens.
Le groupe classe doit être préservé. Parallèlement il faut favoriser le travail en petits groupes.
En effet pour le développement de l’esprit critique et d’analyse, le groupe classe entière est parfaitement adapté et les activités pluridisciplinaires s’y prêtent parfaitement. Il faut des enseignant-e-s formés sur le plan disciplinaire et pédagogique en face et avec les élèves. Mais une confrontation au groupe suppose des apprentissages, des études et des travaux en classe. Il faut évidemment que ce groupe puisse être adapté lors d’apprentissages particuliers, et ainsi être dédoublé ou à effectifs réduits.
Pour la mise en ½uvre d’une éducation citoyenne et d’une formation professionnelle les équipes doivent pouvoir disposer d’outils permettant un travail sécurisé, en lien avec les objectifs visés.
Les besoins informatiques sont aujourd’hui très importants dans les établissements. Tant les outils et leur mise en réseau que les personnels qualifiés pour les utiliser ou en assurer la maintenance sont indispensables.
L’accueil des élèves, étudiant-e-s, apprenti-e-s et stagiaires et le travail des équipes éducatives nécessitent des bâtiments adaptés, répondant aux nouvelles normes environnementales et à leur épanouissement. Le développement de salles de classe, de bureaux, d’ateliers, de laboratoires, de centres de documentation, d’amphithéâtres est indispensable car ils sont des outils nécessaires à la diversité des pratiques pédagogiques mais également à l’animation du territoire, à la recherche, à l’expérimentation et à l’ouverture des établissements sur l’extérieur.
L’ouverture des établissements d’enseignement agricole sur l’extérieur supposent qu’ils puissent disposer de leurs propres moyens de transport collectifs avec les personnels qualifiés permettant en toute autonomie des sorties adaptées aux besoins et aux progressions pédagogiques.
Les établissements de l’Enseignement Agricole Public forment des citoyens et des professionnels en développant leur esprit critique et leur esprit d’analyse.
Un professionnel dans l’exercice de son métier et quel que soit son niveau de responsabilité doit comprendre et maîtriser l’impact de son action sur l’environnement. Cette approche implique une maîtrise scientifique et technologique minimal de chacune de ses activités professionnelles et du contexte général dans laquelle elle est exercée.
Cela suppose le maintien et le renforcement des enseignements généraux, scientifiques, technologiques et professionnels. Réunis, ils doivent permettre une approche pluridisciplinaire des problématiques de l’agriculture et du monde rural et nécessitent une approche transversale des thématiques.
Cette organisation des enseignements suppose évidemment un maintien des horaires des disciplines.
En alternant les situations de formation par des cours, des observations et des réalisations les différentes disciplines permettent d’acquérir toutes les connaissances nécessaires permettant d’appréhender des objets pluridisciplinaires complexes, avec des situations d’apprentissage diversifiées.
Des horaires affectés aux disciplines doivent être maintenus pour éviter les horaires années ou non affectés dont la dangerosité est démontrée. Contrairement à l’idée générale les horaires non affectés ne renforcent pas la pluridisciplinarité ou l’approche thématique. Ils ont pour conséquence de diminuer les heures de face à face, les heures d’apprentissage et renvoie les élèves et étudiant-e-s vers eux même à un travail individuel contraire à l’esprit d’apprentissage collectif.
Il est donc impératif de maintenir les apprentissages disciplinaires complétés par des voyages d’études, des visites et des rencontres avec les acteurs du monde agricole et rural et des stages. Ces derniers nécessitent un retour d’expérience encadré par les enseignant-e-s. Ils doivent être multiples pour aiguiser l’esprit d’analyse et l’esprit critique.
Les référentiels doivent être construits et publiés dans leur totalité dans le cadre d’arrêtés nationaux, les documents d’accompagnement doivent également faire partie des arrêtés. Ils doivent être portés à consultation des équipes pédagogiques et débattus dans leur totalité par les Commissions Professionnelles Consultatives et les instances paritaires. Ils doivent être révisés régulièrement dans le cadre de ces mêmes instances. Pour une adaptation aux évolutions, ils doivent inclure une éducation civique, sociale et citoyenne. Ils doivent être définis en terme de contenus et de méthodologie (analyse systémique, historique, multifactorielle,..). Si une adaptation régionale ou locale est parfois nécessaire, elle ne peut se faire qu’au travers de modules limités en nombre et spécifiques, avec des objectifs communs et une double validation par l’Inspection de l’Enseignement Agricole et par l’autorité académique (type MIL et/ou MAR).
De même, pour donner aux élèves, étudiant-e-s et apprenti-e-s les éléments pour une approche éthique de leurs métiers, la philosophie pourrait être utilement introduite dans les filières professionnelles et y trouver sa place.
Ces référentiels doivent se construire dans un cadre de développement durable et intégrer les modèles de l’économie sociale et solidaire ainsi que les problèmes énergétiques et environnementaux.
De même, la rénovation des référentiels est à poursuivre pour coller au mieux aux nouvelles formes de l’espace rural et à ses nouvelles fonctions.
Dans ces rénovations il faut être vigilant quant à la seule reproduction des modèles ultra-libéraux dans les référentiels (ex : le modèle auto-entrepreneurial).
Il faut maintenir ou redonner une dimension territoriale aux Établissements Publics Locaux d’Enseignement et de Formation Professionnelle Agricole (EPLEFPA EPLEFPA Établissement Public Local d’Enseignement et de Formation Professionnelle Agricole ) et permettre un accès de tous à l’Enseignement Agricole Public par notamment une véritable répartition territoriale. Les EPL doivent être des espaces d’interfaces entre les différents niveaux territoriaux et les élèves, étudiant-e-s, apprenti-e-s et stagiaires. Les EPL ne doivent plus être une reproduction de pratiques dominantes mais devenir des vitrines pour les professionnels et la société de demain.
Les EPLEFPA, dans le cadre de toutes leurs missions, de leur structure, et de leur communauté éducative ont pour vocation première à former des citoyens et à favoriser tout au long de leur vie un épanouissement social, culturel et professionnel. La création pour ces EPL d’un label de durabilité pourrait être envisagé afin de faire reconnaître que les formations sont toutes orientées autour des valeurs sociales économiques et écologiques.
Les exploitations agricoles et les ateliers technologiques des EPL doivent être valorisés en étant de véritables outils pédagogiques. Pour cela il faut en faire des lieux d’apprentissage aux techniques novatrices et plurielles. Les élèves, étudiant-e-s, apprenti-e-s et stagiaires doivent y trouver un panel large de mode de production et y pratiquer l’ensemble des gestes et les travaux des métiers ruraux et de l’agriculture.
Pour être un véritable outil pédagogique les projets d’exploitation doivent être débattus et partagés par l’ensemble de l’équipe éducative. Ils ne peuvent être la chasse gardée d’une équipe de direction ou d’une profession comme on peut trop souvent le voir. Ceci suppose de dégager du temps de concertation qui entre comme tel dans le champs des activités professionnelles des enseignant-e-s.
Les exploitations agricoles et les ateliers technologiques des EPL doivent être innovants. Chaque exploitation est unique par son milieu, exposition, environnement géographique, … ; elle doit être le support d’expériences de productions durables et intégrées au territoire.
La mission de développement, d’expérimentation et de recherche appliquée, passe notamment par les exploitations agricoles. Les moyens financiers, matériels et humains sont à renforcer pour assurer cette mission.
De nombreuses pistes sont à explorer en matière de développement durable (et pour certaines déjà en cours d’études dans certaines de nos exploitations : économie d’eau, maintien des sols, protection de la biodiversité, reconquête des paysages, méthanisation, productions sans produits phytosanitaires …).
Les exploitations des lycées agricoles et les ateliers technologiques doivent développer de véritables partenariats avec les enseignant-e-s. La présence des enseignant-e-s est indispensable dans les conseils et réunions d’exploitation. Leur présence doit être favorisée et non l’inverse comme cela arrive trop souvent aujourd’hui notamment concernant les personnels de CFA ou CFPPA. Des enseignant-e-s doivent bénéficier de décharges horaires pour leur permettre de collaborer avec les personnels d’exploitation. Les élèves, étudiant-e-s, apprenti-e-s et stagiaires doivent être associés aux échanges et aux travaux sur les exploitations et les ateliers technologiques.
Les exploitations agricoles et les ateliers technologiques des EPL ne peuvent poursuivre le seul objectif de rentabilité. Ils sont d’abord et avant tout des outils pédagogiques et ne peuvent donc être systématiquement remis en cause faute de « viabilité économique ». La pédagogie mais aussi le développement ou l’expérimentation ont un coût qui doit être pris en compte. Une réflexion nationale sur ce sujet devrait être engagée.
Les exploitations agricoles et les ateliers technologiques des EPL doivent être indépendants. Le projet d’exploitation ou d’atelier doit être propre au centre et fruit d’un travail collégial des équipes éducatives et de représentants de la profession, validé par le Conseil d’administration. Il ne relève donc pas d’orientations uniques des Chambres d’agricultures ou de tout autre organisme professionnel, ou autorité de tutelle (DRAAF DRAAF Direction Régionale de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Forêt ou Conseils régionaux).
La représentation professionnelle dans les Conseils d’administration des EPLEFPA doit donc correspondre à la réalité des formations préparées par les établissements (est-il normal que le syndicat majoritaire en agriculture représente à lui seul tous les professionnels dans les CA où les formations en productions agricoles sont minoritaires voire inexistantes ?).
Dans le cas des productions agricoles la diversité des productions, leurs adaptations au territoire et l’utilisation de systèmes durables extensifs sont une des réponses aux problèmes environnementaux.
Ces fermes expérimentales doivent retisser du lien avec les exploitations privées et des organismes de recherches tel que l’INRA INRA Institut National de Recherche Agronomique ou l’IRSTEA. Elles doivent travailler aussi sur les notions de commercialisation en lien avec les territoires.
Les EPL doivent être visibles de l’extérieur. Parmi les pistes de réflexion, une nouvelle appellation pour les lycées agricoles peut être intéressante comme le Lycée Rural Polyvalent et Professionnel.
Les structures des établissements agricoles doivent répondre aux besoins territoriaux à caractère multiforme. Les pôles de compétitivité, de spécialisation ou d’excellence conférés aux établissements, en lien avec le processus de régionalisation européenne sont une erreur. Cette politique est en déphasage avec les attentes locales qu’elles soient celles des professionnels ou celles des usager-ère-s. En effet la mobilité géographique est une contrainte forte pour les jeunes et leur famille. Il faut donc faciliter l’accès à la formation pour tous et le service public d’éducation doit se développer afin d’éviter que les familles ne soient dans l’obligation d’envoyer leurs enfants dans une formation à « rythme approprié » ou un établissement confessionnel faute d’une offre publique existante.
Un effort particulier doit être porter sur la communication autour et à propos des métiers ruraux et agricoles. Cette communication relève bien sûr du Ministère, des DRAAF et des établissements en liens avec les professionnels en liens avec les formations préparées.
Les CFPPA (centres de formation professionnelle et de promotion agricole) ont vocation à former les agriculteur-rice-s et les futurs agriculteur-rice-s comme tous les acteurs des filières agricoles et agroalimentaires et à accompagner les mutations des pratiques agricoles. Le ministère chargé de l’agriculture doit permettre aux CFPPA de réaliser cette mission. Cela doit se traduire par des moyens, l’organisation de formation des personnels et la reconnaissance des CFPPA comme de véritables outils pédagogiques au service du « produire autrement » et de l’agro-écologie.
Il faut maintenir et développer les classes de 4ème et 3ème technologiques dans l’enseignement agricole public ainsi que le préconise un des derniers rapport de l’ONEA ONEA Observatoire national de l’enseignement agricole (Observatoire National de l’Enseignement Agricole) sur ce thème.
L’enseignement public doit réinvestir les formations relevant des services à la personne en milieu rural et d’animation du territoire. Celles ci doivent être réfléchies dans le cadre de la spécificité des territoires ruraux et péri-urbains en partenariat avec l’Éducation Nationale.
La mission d’expérimentation et de recherche doit retrouver toute sa place au sein des EPLEFPA. Cela suppose l’implication de l’ensemble des centres des EPL, de véritables partenariats avec d’autres établissements publics notamment de l’enseignement supérieur ou de recherche et de moyens matériels et financiers dédiés.
L’ensemble des éléments évoqués nécessite une véritable politique générale et nationale relevant des compétences de l’État.