Monsieur le Ministre, nous avons, croyez-le, du mal à nous résoudre à croire qu’en dépit des discours, au regard des actes que le Gouvernement et la majorité auxquels vous appartenez posent jour après jour, vous seriez en passe de sacrifier sciemment l’enseignement agricole public en laissant le champ libre, voire en encourageant la création de l’école d’un richissime investisseur privé ! Après l’ouverture au privé de l’enseignement supérieur vétérinaire, cette nouvelle algarade est un acte de trop !
L’enseignement agricole comme vous le qualifiez pourtant par ailleurs est un joyau, votre prédécesseur parlant même de pépite ! Dans la brochure de votre ministère, « Portrait de l’enseignement agricole » édition 2020, vous ne tarissez pas d’éloges pour présenter cet outil public mettant en avant sa taille humaine, son large éventail de formation (de la 4ème au doctorat), ses bons résultats aux examens, ses très bons taux d’insertion, son ouverture à l’international, ses acteur·trices pour la recherche et le développement et ses exploitations et ateliers technologiques au service de la transition écologique. Vous mettez aussi en lumière des chiffres qui ne doivent pas nous faire rougir, à savoir : 216 lycées agricoles publics, 94 CFAA, 154 CFPPA
CFPPA
Centre de Formation Professionnelle et de Promotion Agricole
(formation continue pour adultes)
, 367 MFR, 211 lycées privés, 18 établissements d’enseignement supérieur, 2 établissements d’enseignement à distance, 192 exploitations agricoles et 35 ateliers technologiques.
Cet outil au service des usagers et des territoires par son encrage permet d’éduquer, former les jeunes et les moins jeunes aux enjeux agricoles, alimentaires, environnementaux de demain. Il est aussi le service public prêt à faire face au renouvellement des générations d’agriculteur·trices et à assurer la nécessaire transmission dans les 10 prochaines années, si tant est que vous lui en donniez pleinement les moyens ! Et c’est bien là que le bât blesse...
Or, Monsieur le Ministre, comme les trois ministres qui vous ont précédé, vous êtes en train de sacrifier cet outil public pour répondre à un schéma d’emploi dicté par le dogme du libéralisme, et de surcroît en supprimant plus d’emplois dans l’enseignement agricole public que dans le privé. Vous le sacrifiez en supprimant les dédoublements obligatoires qui permettaient pourtant un enseignement pratique en sécurité et la mise en œuvre d’une pédagogie innovante, ou encore abaissant de fait nos capacités de financement en matière d’aide personnalisée en bac technologique. Vous le sacrifiez en limant le nombre de spécialités proposées dans nos lycées, voire en supprimant par manque de moyens les enseignements optionnels et facultatifs dans le cadre du nouveau baccalauréat...
Monsieur le Ministre en ne corrigeant pas sans plus de délai ce schéma d’emploi et cette trajectoire mortifère, vous laissez clairement le champ libre aux officines privées de tout bord, à l’image de celle de ce richissime investisseur qui selon la presse « se penche sur la question de l’alimentation durable et de la cause animale pour aller vers une conversion écologique » avec l’appui directe de la conseillère en agriculture de M.Macron, elle-même partie prenante au capital et appelée à prendre la tête de cette nouvelle école ! Il s’agit comme vous l’aurez compris du projet nommé Hectar qui formera pas moins de 2000 étudiant.es à l’agriculture et à la reprise d’exploitation (selon le site de Capital), les principaux investisseur.es ayant pour l’heure refusé de s’exprimer. Hectar, « le plus grand campus du monde » (sic)... Bien entendu loin de tout conflit d’intérêt présent comme à venir !
Monsieur le Ministre, avez-vous, le Gouvernement, la majorité à laquelle vous appartenez et vous-même, à ce point perdu confiance en l’enseignement agricole public pour former comme il se doit les générations d’agriculteur·trices à venir et accompagner de même celles et ceux en reconversion ? Pensez-vous que nous avons réellement besoin d’« Hectar » au vu des outils existants ? Ne pouvez-vous pas ou ne voulez-vous pas défendre les lycées, les CFAA, les CFPPA, les exploitations, les ateliers technologiques alors que l’emploi qu’ils représentent justifie l’existence même de votre ministère ?
Concernant cette « nouvelle école », un certain nombre de questions se posent et non des moindres. Ainsi, par voie de presse, nous apprenons que les inscriptions seront lancées... dès ce printemps pour des cours dispensés dès la rentrée 2021... avec pas moins de 2000 élèves... étudiant·es... adultes en reconversion... on ne sait pas très bien en fait... Pour des formations diplômantes... ou pas... auquel cas avec quels agréments, habilitations ? Ce qui est sûr à ce stade, c’est que ces informations n’ont fait l’objet d’aucun passage dans aucune instance de l’Enseignement Agricole... en toute opacité... pour cette nouvelle école privée « sous contrat » avec l’État ou pas...
Nous n’avons pas besoin, la France n’a pas besoin d’une nouvelle école d’agriculture et encore moins du soutien de votre gouvernement et de notre ministère pour celle-ci. Monsieur le Ministre, alors que nos établissements traversent la crise sanitaire, alors qu’ils continuent à éduquer et à former, alors qu’ils s’engagent dans la transition écologique, votre soutien et des gestes politiques forts sont primordiaux afin de soutenir l’enseignement agricole public et ses agent.es. Monsieur le Ministre, c’est d’un soutien politique public de votre part et d’un soutien financier assumé au gouvernement comme au Parlement dont l’enseignement agricole public a besoin. L’initiative de Xavier Niel, à grand renfort de médias, vous en donne l’occasion en pleine période de « salon à la ferme »... Monsieur le Ministre, ne manquez pas ce qui constituerait un acte fort dont les générations à venir vous serez grées. Le SNETAP FSU FSU Fédération Syndicale Unitaire compte plus que jamais sur un sursaut républicain de la part de votre majorité, en appelle à votre responsabilité et à la mise en place au plus tôt du collectif budgétaire qui s’impose !
Veuillez croire, Monsieur le Ministre, en notre dévouement le plus sincère pour l’enseignement agricole public.
Clémentine MATTEI, Co-Secrétaire Générale SNETAP-FSU
Frédéric CHASSAGNETTE, Co-Secrétaire Général SNETAP-FSU