Analyse du Snetap-FSU FSU Fédération Syndicale Unitaire sur les projets d’arrêtés portant organisation des enseignements dans les classes de 4ème et de 3ème de l’enseignement agricole
1. Sur la forme
Notre première opposition à ces projets d’arrêtés concerne d’abord la « forme ».
Les projets d’arrêtés qui nous ont été présentés (au CNEA CNEA Conseil national de l’enseignement agricole du 8 juillet 2004 pour celui des 4ème, au CNEA du 5 janvier 2005 pour celui des 3ème) n’ont fait l’objet d’aucune concertation ou négociation dans les instances paritaires concernées (CPC, CTPC CTPC Comité Technique Paritaire Central -DGER DGER Direction Générale de l’Enseignement et de la Recherche , CNEA), ni donné lieu à une quelconque réflexion en amont avec les équipes éducatives.
Or, contrairement à ce qu’on pourrait penser, surtout quand on méconnaît l’histoire de l’enseignement agricole et la hauteur des enjeux liés à son existence et à son avenir, la création de ces 4ème-3ème de l’enseignement agricole est très lourde de sens - et de conséquences - pour notre secteur d’éducation, et plus particulièrement pour le service public.
Comment d’ailleurs pourrait-on légitimer les tractations secrètes conduites dès l’hiver 2003- 2004 par la DGER (Direction Générale de l’Enseignement et de la Recherche, en charge de la politique éducative de notre ministère) avec le MEN en l’absence (officielle tout au moins) de toute information sur le futur projet de loi d’orientation pour l’Ecole - et donc de toute précision concernant une éventuelle rénovation des classes de 4ème et de 3ème de collège - et alors même que le rapport Thélot n’était pas écrit... ?
Devons-nous comprendre que la plupart des orientations du projet de loi Fillon étaient déjà arrêtées à cette époque, du renoncement à l’acquisition d’une culture commune au collège jusqu’à l’introduction de l’apprentissage dès la classe de 4ème ?
Est-il acceptable qu’un projet d’arrêté co-signé par les 2 ministères entrant dans le champ d’application de la loi d’orientation soit présenté en juillet 2004, soit plus de 6 mois avant la présentation dudit projet de loi devant le Conseil des Ministres et environ 9 mois avant de le voir débattu au parlement ?
A notre sens, la co-signature par le MEN des projets d’arrêtés des 4ème et 3ème de l’enseignement agricole relève soit d’une imposture partisane scandaleuse (de soutien aux Maisons Familiales Rurales, cf. infra) qu’il convient de dénoncer, soit d’un cynisme effroyable, puisque cela reviendrait à avouer mezzo voce que le débat et la concertation organisés autour de l’avenir de l’Ecole ne l’étaient que pour la forme et que les décisions étaient déjà prises.
Parmi les décisions politiques déjà « prises », la réaffirmation de la vocation « naturelle » de l’enseignement agricole de servir de déversoir pour les élèves en situation de décrochage scolaire (voir infra) en fait-elle partie ?
Le Snetap-FSU ne peut cautionner d’une manière ou d’une autre ce mépris du dialogue social et cette manipulation des esprits.
2. Sur le fond
2.1. Les enjeux éducatifs et laïques
A la rentrée 2004, la part du niveau V dans les effectifs globaux de l’enseignement agricole est de 57,1 % (il faut revenir à la rentrée 1990 pour retrouver un chiffre aussi important) soit 99 254 élèves.
Un tiers de ces effectifs est constitué d’élèves de 4ème-3ème (soit près de 35 000 élèves et plus de 20 % du total des effectifs de l’enseignement agricole.
Si on examine les proportions public-privé on comprend mieux que l’enseignement privé nourrissait quelques craintes à l’idée que les 4ème-3ème technologique et 4ème-3ème préparatoires à projet professionnel ne disparaissent au profit de 4ème-3ème de collège indistinctes qui auraient menacé son fonds de commerce : car si les niveaux V et VI représentent 34 %* des effectifs du public, les chiffres s’élèvent à 59, 9 %* pour le privé temps plein et à 79,4 %* pour les Maisons Familiales ... !
Et sur ces 79,4 %, la part des 4ème-3ème est prépondérante.
Les raisons historiques à ce monopole écrasant de l’enseignement privé (et en particulier des MFR) sur le niveau V sont naturellement diverses : elles tiennent d’une part à l’incapacité de l’appareil public de formation - notamment le collège - à trouver des réponses adaptées aux élèves en difficulté ou en échec, d’autre part à la politique de redéploiement conduite par la DGER dans l’enseignement agricole public depuis une quinzaine d’années.
En termes d’évolution de structures pédagogiques, les établissements publics ne pouvaient ouvrir une classe que s’ils en fermaient une. Dans cette logique de marchandage imposée par notre autorité pédagogique, de nombreux établissements publics ont alors fait le choix d’ouvrir des filières de niveau IV (notamment en Bac techno) ou de niveau III (BTSA
BTSA
Brevet de Technicien Supérieur Agricole
) et de fermer des filières de niveau V et VI (4ème, 3ème, CAPA
CAPA
Certificat d’Aptitude Professionnelle Agricole
Commission Administrative Paritaire Académique
, BEPA
BEPA
Brevet d’études professionnelles agricoles
...).
L’enseignement privé a naturellement récupéré ce que le secteur public abandonnait et désertait.
2.2. Les publics accueillis et l’insertion scolaire : mythes et réalités
A la question posée un peu naïvement pour savoir si les classes existantes de 4ème et de 3ème dans l’enseignement agricole sont « réservées aux élèves en situation de décrochage scolaire » notre réponse est la suivante : non, elles ne sont pas théoriquement « réservées » aux élèves en situation de décrochage, mais la majorité des élèves accueillis sont bien en situation de difficulté ou de décrochage scolaire.
Mais le discours, devrais-je dire l’antienne, répété à l’envie par l’enseignement privé et la DGER - notamment dans la note de présentation de l’arrêté sur la réussite de la remédiation de l’enseignement agricole sur ces publics - ne doit pas faire illusion : nous savons l’ampleur du phénomène d’évaporation massive d’èlèves entre les classes de 4ème-3ème et le BEP BEP Brevet d’études professionnelles .
Le taux de sortie en cours de cycle (c’est-à-dire en 4ème) avoisine les 18 % et le taux de sortie sans aucune qualification à l’issue de la 3ème est de 5 %.
Ce taux d’évaporation (qu’on retrouve également entre le niveau V et le niveau IV) est très nettement supérieur dans l’enseignement privé qu’il ne l’est pour le public.
Même si nous ne disposons pas de bilan statistique précis pour étayer notre constat, puisque les outils informatiques de suivi des élèves ne s’appliquaient pas aux Maisons Familiales Rurales jusqu’à la rentrée dernière - on comprend d’ailleurs qu’elles aient résisté farouchement à tout suivi statistique de leurs élèves puisqu’elles ne sont pas subventionnées à la classe mais à l’élève déclaré ! -, certains de nos secrétaires régionaux (en Basse Normandie et en Rhône-Alpes notamment) ont conduit des études de cohortes (en croisant plusieurs bilans statistiques) qui sont très éloquentes sur ce phénomène.
D’ailleurs quand nous interrogeons les instances paritaires régionales à ce sujet (en CTPR CTPR Comité technique paritaire régional et en CREA), nos autorités académiques ne démentent pas nos analyses.
Quant au discours répandu par la DGER et l’enseignement privé selon lequel les élèves feraient le « choix » de l’enseignement agricole quand ils entrent dans les classes de 4ème, il relève indifféremment de l’imposture intellectuelle ou de la propagande organisée.
S’il est vrai que certains élèves font le choix de l’enseignement agricole pour des raisons de proximité géographique ou liées à la nature des supports pédagogiques (cf. note de présentation de l’arrêté), la très grande majorité des élèves y est accueillie par défaut.
2.3. La « mue » de l’enseignement agricole
L’enseignement agricole a naturellement accompagné - en avait-il le choix ? - les évolutions économiques et sociales de notre pays : recul du secteur primaire, développement de l’ urbanisation (y compris dans les territoires dits ruraux), croissance très forte de la demande dans le secteur des Services, prise en compte de toutes les dimensions de l’espace rural (aménagement, paysage, protection de l’environnement, tourisme rural...).
Alors qu’il s’est construit historiquement exclusivement sur les métiers de la production, l’enseignement agricole a donc ouvert progressivement ses champs de formation depuis la fin des années 70 sur les métiers de l’aménagement, des travaux paysagers, de l’environnement (gestion des espèces, maîtrise de l’eau...), du laboratoire et des services.
Cette ouverture s’est amplifiée à mesure que le secteur de la production agricole était livré à des crises successives (ESB, Dioxine du poulet...) et de fortes incertitudes sur l’avenir même de l’agriculture française au travers des réformes successives de la PAC PAC Politique Agricole Commune et de l’élargissement de l’Union Européenne : diminution constante du nombre d’exploitations, baisse régulière du nombre d’installations...
L’origine sociologique de nos élèves est d’ailleurs un des indicateurs de cette mutation profonde puisque la proportion de parents agriculteurs ou salariés agricoles est passée de 42,4 % en 1985 à 17 % en 2004. Nous scolarisons de plus en plus d’élèves issus de zones urbaines ou péri-urbaines.
Pour toutes ces raisons, les personnels de l’enseignement agricole public sont fortement attachés à cette diversification des champs de formation et à leur maintien, et récusent toute velléité de repli sur nos missions « historiques » de formation dans les secteurs de la production et de la transformation, velléité de repli que ne manque pas d’agiter périodiquement la DGER comme un chiffon rouge.
Si nous devions d’ailleurs nous recentrer exclusivement sur ces champs historiques de formation, la persistance d’un enseignement professionnel dans notre ministère - pour un nombre d’élèves si restreint - se justifierait-elle encore ?
2.4. L’attachement à la « culture commune »
Pour les mêmes raisons évoquées ci-dessus, nous contestons justement cette appellation de 4ème et de 3ème « de » l’enseignement agricole.
Ici l’article « de » a toute sa signification puisqu’il singularise inutilement notre secteur d’enseignement, et nul doute qu’en matière d’orientation, il y a fort à parier que ces 4ème-3ème apparaîtront encore un peu plus aux yeux des élèves et des familles comme des filières de relégation ou d’orientation par l’échec.
La situation qui serait nouvellement créée n’est pas identique à la situation précédente où nous avions des 4ème-3ème technologique et préparatoire à projet professionnel indistinctes de celles de l’EN EN Éducation nationale (même si l’enseignement agricole y apportait sa petite touche personnelle avec la pluridisciplinarité, l’ESC ESC Éducation socio culturelle , les technologies professionnelles...).
Nous avons assez souffert de l’image de « lycée patate » qui a longtemps collé à la peau des personnels et des élèves et nous commencions enfin à en sortir. Nous ne souhaitons pas revenir en arrière.
Le SNETAP n’a d’ailleurs jamais défendu l’existence de 4ème-3ème spécifiques à l’enseignement agricole, même si en effet nous restons attachés à nos approches pédagogiques (pluridisciplinarité, ESC, pédagogie de projet...).
Des 4ème-3ème de collège dans l’enseignement agricole, oui ! Des 4ème-3ème de l’enseignement agricole, non !
C’est en raison de ce même attachement à la culture commune si chèrement défendue par la FSU que nous ne comprenons pas ce qui justifie le statut de facultatif pour la LV2 dans ces 4ème-3ème de l’enseignement agricole.
Cette disposition contenue dans l’arrêté est d’ailleurs contradictoire avec le projet de loi d’orientation pour l’École tel qu’il existe aujourd’hui. De surcroît, la pratique du « rythme approprié » dans les MFR et la pénurie de moyens organisée par la DGER pour l’enseignement public rendraient très aléatoires la mise en ½uvre de la LV2.
Enfin, est-il raisonnable de penser que des élèves soumis au « rythme approprié » - et pour beaucoup d’entre eux en difficulté scolaire - puissent acquérir les fondamentaux de cette culture commune que nous appelons de nos v½ux sur 2 × 600 h ?
Mais encore convient-il de rappeler que nous avons toujours condamné cette pratique déguisée de l’alternance ayant cours dans les MFR, et que nous ne l’acceptons pas davantage aujourd’hui qu’hier.
Quant à la pluridisciplinarité (dont nous ne sommes hélas pas sûrs qu’elle profite aux disciplines concernées ni qu’elle ne soit détournée pour d’autres usages dans les MFR), si nous sommes favorables dans le principe, nous répétons que nous ne cessons d’exiger une évaluation précise et circonstanciée de sa mise en ½uvre et de son effectivité dans les établissements.